Je le connais depuis qu’il est poulain. Il est né dans l’élevage d’amis, mais, poulain, il était vendu. Et, je n’avais pas l’intention d’acheter un cheval avant…ma retraite ! Et puis…la vie s’en est mêlée. Saïd n’avait finalement pas été vendu et j’ai eu envie d’acheter un cheval bien avant ma retraite.
Je me suis rappelée de ce petit cheval avec lequel j’avais toujours eu un attachement particulier, et je suis officiellement devenue la gardienne de Saïd, à l’aube de ses 4 ans.
Saïd est très très très très gentil, très très très proche de l’humain, très très très intelligent et très joueur. C’est pour tout cela que je l’ai choisi. Il se révèle facétieux, très peu émotif et très fiable.
Il me fait vite comprendre que je suis son amie. Je mettrais 15 jours à m’en remettre, tant cela me bouleverse.
Saïd est mon meilleur ami équin, ma bouffée d’oxygène, mon compagnon de jeu (on joue comme des gamins à cache-cache :-)).
L’épreuve nous saisit le 6 juin 2015. Je l’appelle au pré, il ne vient pas, ce qui n’arrive jamais. Je vois Saïd dans son abri, immobile. Son postérieur gauche est coincé entre les planches de l’abri.
C’est grave : la blessure est difficile à évaluer et surtout, elle va se dégrader. Beaucoup. Elle s’infecte (il était à deux doigts de la gangrène quand je l’ai trouvé). Les tissus nécrosent : Saïd doit être hospitalisé. Il sera opéré 4 fois. Lors de l’opération, on découvre le tendon sectionné, la gaine du tendon ouverte et infectée. Je le saurai plus tard, mais c’est l’infection la plus redoutée par les vétérinaires, car extrêmement difficile à enrayer, et très souvent fatale.
Nous allons nous battre 2 ans contre cette infection et ses conséquences. L’infection finira par atteindre les os, les rendant littéralement transparents à la radio, tant la densité osseuse est faible. Les sésamoïdes sont troués. Les vétérinaires de Grosbois n’avaient encore jamais vu cela…
Saïd passera 5 mois en clinique, 14 mois en box ferme, 18 mois en pronostic vital engagé. Sa guérison nécessitera 2 ans de soins quotidiens. Les vétérinaires et de nombreux professionnels du soins (maréchal, ostéo…) feront leur maximum pour le guérir. Nous serons aussi entourés d’amis incroyables qui nous ont soutenu et aidé pour les soins et les frais.
Mais, il y a un paramètre-clé, celui qui détermine une partie du traitement et la poursuite des soins : le moral. Sans un mental de guerrier, rien n’est possible avec une telle pathologie. Saïd a un mental exceptionnel, mais pas infaillible. Et surtout, il faut tenir dans la durée... Enfermé, sans congénère, au régime, en grande souffrance, pendant des mois, de très longs mois.
Alors, pendant 2 ans, je vais faire TOUT ce qui est en mon pouvoir pour aider mon cheval, pour que son moral (d’acier) tienne.
Je vais l’écouter, encore, toujours, avec mon cœur, avec mes yeux, avec tout ce que mon corps peut ressentir.
Je vais m’appuyer sur notre relation très forte et sur toutes les connaissances acquises durant mes études et mes recherches personnelles. Je vais y passer mes journées et mes nuits.
Je vais dépasser mes limites, oser mettre en place des choses dont je sais qu’elles suscitent les moqueries et le doute, parfois les reproches, oser demander des choses inédites et très difficiles à demander.
Et, son moral va TENIR. Tellement que sa clinique est excellente (alors que les radios sont catastrophiques). Tellement que les vétérinaires ne me proposeront jamais l’option redoutée, mais me diront un soir d’automne 2015 : « Il a entre 5 et 10% de chance de s’en sortir, mais ça vaut le coup d’essayer ».
Et tous ensemble, nous allons réussir. Stopper l’infection, recouvrer la densité osseuse, et Saïd va nous révéler qu’il peut se déplacer aux 3 allures sans douleur, avec uniquement une boiterie mécanique au trot.
Et surtout, surtout : Saïd va retourner au pré avec les copains et vivre une VRAIE VIE DE CHEVAL. Mon UNIQUE objectif.
Saïd a dépassé les pronostics les plus optimistes des vétérinaires. Et je sais que ce que j’ai mis en œuvre pour son mental a payé. Saïd l’a montré. Les vétérinaires l’ont constaté.
Mais cette épreuve m’a laissé exsangue physiquement, moralement et financièrement. Alors, je vais avoir besoin de presque 3 ans pour décider, aujourd’hui, que c’est ma voie.
Il me faudra des mois pour digérer, mettre à distance, accepter que j’ai une expérience hors du commun (grâce à un cheval hors du commun, vous l’aurez noté, bien sûr ! ;-)).
Je le vois bien pourtant sur les quelques chevaux que j’accompagne depuis 2017 (des amis, une association).
En cette année 2020, il me faudra encore des mois pour formaliser totalement mon savoir-faire, m’autoriser à le mettre en pratique à plus grande échelle.
Nous sommes souvent notre propre limite. J’avais besoin de temps, mais je sais que cette épreuve m’a permis d’acquérir un savoir-faire unique et que je peux aider bien d’autres chevaux.
Saïd m’a appris que l’on pouvait être ami avec un cheval. Il m’a fait beaucoup, beaucoup évolué dans ma pratique avec les chevaux (monté, à pied, ou simplement en étant avec eux).
Avec cette épreuve, Saïd m’a permis d’apprendre tout ce que nous pouvions déjà faire pour aider un cheval en soins et montré tout ce qu’il nous reste à apprendre.
Saïd est là, et nous montre que c’est possible. Que même dans la pire épreuve, on peut soutenir leur moral, faire en sorte que les chevaux coopèrent aux soins parce-qu’ils comprennent notre intention.
Je sais que Saïd continuera de guider ma pratique, de me faire expérimenter d’autres interactions humain-cheval. En ce moment, il m’apprend la force de l’intention. Je m’améliore un peu plus chaque semaine, grâce à lui. Et je peux vous dire que je m’en sers déjà avec plein d’autres chevaux.
Aujourd’hui, ma plus grande fierté est d’être son amie et mon plus grand bonheur est de l’observer vivre sa vie de cheval et d’être avec lui.
Je mesure la chance immense d’avoir à mes côtés ce GRAND cheval. Petit par la taille, mais tellement grand par sa force et sa sagesse.
Je me réjouis chaque jour de vivre près de lui et de continuer d’apprendre avec lui. Mon ami et mon guide. Saïd.