En savoir plus sur mon métier
Je ne sais pas…
Quand vous êtes comportementaliste, très souvent, on vous demande de répondre sur le champ et gratuitement à ce type de question (juste pour savoir, comme ça vite fait) : « Mon cheval fait ça, ça veut dire quoi ? Comment résoudre le problème ? ». En vrai, je l’avoue : je ne sais pas.
Je ne sais pas car comme un vétérinaire ou un médecin, j’ai besoin de faire un diagnostic, d’investiguer, de comprendre ce qui se passe pour le cheval, ce que fait le gardien et la relation qui les lie. C’est comme si vous disiez au véto : « Mon cheval boite, que dois-je faire ? ». tant qu’il n’a pas regarder le cheval marcher, ausculter le membre et juger de l’état du cheval, il ne sait pas quoi faire non plus.
Pourquoi mon cheval ne se laisse pas attraper au pré ? S’il a mal au dos ou s’il a une mauvaise relation à l’humain, ce n’est ni le même diagnostic, ni la même solution. Dans un cas, on règle le mal de dos et là, le comportementaliste ne fait RIEN (il constate et renvoi vers un ostéo ou un véto). Et si c’est un problème relationnel, le comportementaliste analyse la situation et met en place un protocole pour améliorer la relation durablement (avec un suivi adapté).
Donc, non je ne sais pas pourquoi votre cheval vous bouscule, ne veut pas monter dans le van, s’attaque à son voisin de box... Mon métier n’est pas d’appliquer des méthodes d’éducation proposées au plus grand nombre, mais de proposer une solution sur-mesure pour un cheval et un gardien donnés.
Parce-que chaque cheval est unique, chaque gardien est unique et que leur relation est unique. Mon métier n’est pas centré sur l’éducation du cheval*, mais centré sur ce que vit le cheval et ce que l’on peut mettre en œuvre pour lui apporter plus de confort, de facilité et de mieux-être dans sa relation à l’humain, ses conditions de vie et ses activités.
Notez au passage, que je ne sais pas non plus si telle ou telle méthode est mieux pour votre cheval. Je sais seulement que je dois faire un diagnostic complet pour vous répondre et que parfois, une partie de la méthode seulement convient ou il faut l’adapter.
Le comportementalisme n’est pas une méthode, c’est une démarche qui demande investigations, réflexion, coopération avec le cheval et le gardien pour construire ensemble une solution. Si je ne sais pas c’est parce-que tant que je ne vous connais pas et que je ne connais pas votre cheval, je n’ai pas de solution toute faite à vous proposer.
*Je précise car le terme comportementaliste est fourre-tout et englobe aussi des personnes enseignant des méthodes d’éducation ou de dressage. Ce qui est tout aussi respectable mais un autre métier. :-)
T’en veux de l’anthropomorphisme, en v’là !
On critique beaucoup l’anthropomorphisme, mais bien utilisé, il est très très utile.
C’est une des bases de la recherche scientifique
Déjà, tous les chercheurs s’appuient dessus pour émettre des hypothèses. C’est normal d’explorer le monde avec nos yeux. C’est ce qui nous permet d’explorer le monde. La limite c’est de lire TOUT le monde avec nos yeux, comme si TOUT le monde avait nos yeux.
Imaginez un daltonien qui explore le monde et le lit uniquement avec ses yeux, bah, vous allez trouver que ça manque de couleur et que ce n’est pas votre réalité. Mais, vous allez trouver des pistes pour comparer les deux visions et COMPRENDRE l’autre. Et c’est là, que c’est intéressant.
Les scientifiques se demandent par exemple si la mémoire d’une espèce est comme la nôtre ou comme une autre espèce déjà observée. Ensuite, il pose la question à l’animal en faisant bien attention à poser la question à l’animal pour qu’il puisse la comprendre (nombre d’études échouent ou donnent des résultats erronés car la question a été mal posée. Posée comme un humain, donc là aussi, on doit stopper l’anthropomorphisme).
Rappelez-vous Hans le cheval qui savait compter. On a longtemps pensé qu’il savait compter (parce-que les humains savent compter…). Or, Hans développait une capacité majeure chez les chevaux : l’observation et la compréhension de signaux faibles. Hans ne sait pas compter comme un humain, mais il sait décoder finement, comme un cheval. Nous avions lu son comportement comme des humains.
C’est un excellent outil pédagogique !
Pendant le confinement, on a vu fleurir sur les réseaux sociaux, les images d’animaux enfermés qui faisaient le parallèle avec le confinement. Ca permet de comprendre ce que vit l’animal avec notre perception.
Je le fais TOUJOURS pendant mes cours ou dans mes échanges avec les professionnels.
Exemple pour les jeunes chevaux : est-ce que tu demanderais à un enfant de 10 ans de porter 10kg en courant sur 300m ?
Exemple d’anthropomorphisme à l’envers : comment réagirait ton estomac si tu mangeais 16h par jour la tête en bas ?
Dans ce cas, il permet de rentrer dans la perception de la personne pour qu’elle prenne conscience. Evidemment, en complément on apporte les connaissances suffisantes pour se mettre à la place de l’animal, mais la prise de conscience est la clé de l’apprentissage. Donc, si l’anthropomorphisme peut y aider, allons-y !
Attention, ça ne veut pas dire que cela fonctionne pour tout et avec toutes et tous. Mais bien utilisé, c’est un outil pédagogique très précieux.
Alors autant je suis contre l’anthropomorphisme à tous crins et sans réflexion, autant bien utilisé, c’est un levier de connaissances. Et vous, avez-vous des exemples du bon usage de l’anthropomorphisme ?
A quoi sert l'observation des chevaux ? A tout !
Depuis que je suis formée à l'observation des chevaux, je me rend compte du champs d'application de ce savoir-faire. Il est immense. Je pense qu'il me reste encore beaucoup de choses à découvrir et à apprendre, mais je peux déjà vous dire (car j'en ai fait l'expérience) que cela sert à tout !
Pour observer, on s'appuie sur des observables
L'observation des chevaux permet de savoir ce que dit le cheval. Nous avons déjà beaucoup d'observables fiables apportées par les études scientifiques et nous allons en découvrir d'autres dans les années à venir.
Qu'est-ce qu'un observable ? Ce sont les positions des différentes parties du corps qui forment un comportement. Ce comportement est décrit dans toutes ses dimensions dans un éthogramme. L'éthogramme répertorie les comportements d'une espèce ou d'un groupe d'individus d'une espèce à une période donnée, dans des conditions de vie données.
L'éthogramme du cheval domestique diffère du cheval sauvage, par exemple.
Exemple de comportement avec ses observables : le repos debout. Principaux observables : encolure hauteur du garrot ou légèrement plus basse, lèvre inférieure relâchée, postérieur au repos, yeux mi-clos, oreilles sur le côté.
Si le cheval à l'oeil fixe et la lèvre inférieure crispée, il n'est pas au repos mais dans une apathie révélatrice de mal-être.
Pour observer correctement un comportement, vous devez avoir la totalité des observables. Si un observable manque à l'appel, c'est un autre comportement. Parfois, il est connu, d'autres fois, il ne l'est pas et il faut attendre que la recherche avance ou se fier à son instinct (ça fonctionne dans certains cas).
Observer sert à tout, tout le temps (liste non exhaustive)
L'observation vous met en sécurité, vous permet de comprendre les situations et donc de réagir avec pertinence et calme. Avec l'observation, vous savez :
-anticipez la peur du cheval et donc vous mettre en sécurité. Indispensable au quotidien, en balade, au débourrage, dans un nouveau lieu, avec un nouvel objet... = LA SECURITE
- détectez la différence entre le discours de l'humain et la réalité du cheval (l'humain n'est pas forcément menteur, il peut être de bonne foi, mais mal identifier les comportements). Indispensable quand vous achetez ou vous faites confiez un cheval, quand on vous propose un cheval pour une randonnée ou simplement quand on vous demande de vous en occuper quelques heures. = LA REALITE
- réglez le curseur pour les apprentissages : ne pas aller trop vite ou trop lentement pour lui. Indispensable pour la compréhension, la bonne acquisition des apprentissages. Un mauvais apprentissage peut créer de la confusion chez le cheval et altérer durablement sa relation à l'humain. = LA COMPREHENSION
- vous comportez avec lui : le rassurer, le laisser tranquille, le motiver... Et aussi ce qu'il tolère de l'humain, chaque cheval ayant sa propre relation à l'humain (proximité, nature des échanges...). = LA CONFIANCE
-mieux identifier sa douleur, qu'elle soit physique ou psychologique. Indispensable tout le temps pour éviter des accidents, des pathologies qui s'aggravent, une convalescence qui va trop vite ou trop lentement. Egalement, trop de chevaux sont en détresse psychologique à l'insu des humains qui croient bien faire. = LE SOIN
La connaissance est un remède très puissant contre l'ignorance qui entrainent les mauvais traitements, les mauvais diagnostics et les mauvais remèdes.
La connaisssance est un chemin passionnant vers le respect, l'harmonie et la sérenité.
La connaissance nous permet de comprendre l'autre, de l'accepter tel qu'il est et de choisir ensemble et en conscience une façon de vivre et des pratiques communes.
A mon sens, l'observation des chevaux devrait être enseigné à tous les professionnels, les propriétaires et les personnes cotoyant des chevaux. Une fois que l'on sait observer, on peut élaborer des solutions ensemble (c'est la base de l'éthologie appliquée).
Un cheval ne fait jamais rien pour vous embêter, ce qu'il fait correspond à ce qu'il est et à ce que son espèce peut exprimer. Observer, c'est la clé.
Comment reconnaitre un vrai pro du comportement équin ?
Comme tant de gens se proclament comportementalistes et que je lis des horreurs sur les comportements des chevaux, j'ai décidé de vous faire un récap pour reconnaitre les professionnels qui disposent d'un savoir établi, des autres.
- Le vrai pro du comportement sait observer les chevaux et c'est la base de son travail. Savoir observer s'apprend avec des scientifiques ou avec des personnes qui ont travaillé avec des scientifiques. Ceux qui vous racontent qu'ils ont appris seuls à observer... bah c'est compliqué, car il faut observer des heures et des heures en ayant les mêmes observables que la communauté scientifique*. Pour observer correctement un comportement, il faut savoir le décrire précisément (position de l'encolure, des oreilles, de la queue...), sinon c'est une vision subjective, et non objective de l'animal.
Anecdote perso : je suis arrivée en formation en me disant "je sais observer, je le fais beaucoup depuis 10 ans". Au bout du 2e jour, j'étais incapable, comme TOUS les autres qui ont suivi la formation depuis plus de 10 ans, de savoir à quelle hauteur est l'encolure dans un pas exploratoire chez le cheval. Cette hauteur d'encolure permet de savoir quel est le comportement exact au pas que l'on observe. C'est ça, savoir observer : savoir comment l'animal est (posture, mouvements...) pour identifier le comportement.
Sans observation précise, pas d'action précise. Je suis formelle là-dessus.
L'observation est un travail quasi quotidien, si on est formé et que l'on ne s'entraine pas, on ne sait plus le faire correctement (c'est pour ça que je m'entraine tout le temps ;-)).
Et comme les études nous permettent de découvrir de nouveaux comportements, il faut se tenir informé car chaque espèce est pleine de subtilités.
- Etre diplômé, c'est mieux, mais pas de n'importe quel établissement. En effet, des établissements prestigeux dont on parle partout n'ont pas vocation à former des comportementalistes. Simplement, elles intègrent des connaissances scientifiques au milieu de méthode de dressage. C'est bien, mais pas suffisant à faire des comportementalistes.Un pro du comportement équin ne vous apprend pas à dresser un cheval, il vous apprend à connaitre votre cheval et à lui apprendre au mieux. Il n'y a pas de méthode toute faite, mais de l'observation, de la connaissance de l'espèce et de l'adaptation à l'individu.
Vérifier que les diplômes soient délivrés par des équipes scientifiques reconnus dans le monde. En France, il n'y a pas de diplôme reconnu par l'Etat à ce jour, en dehors des masters d'éthologie. Toutefois, les DU, dispensés par des équipes de renommée mondiale, forment de bons professionnels auxquels vous pouvez vous fiez.
Pour les non-diplômés, ceux qui suivent régulièrement les colloques scientifiques et ont participé à des observations scientifiques peuvent être des pros du comportement s'ils pratiquent beaucoup. Etre autodidacte est plus complexe, mais c'est possible aussi. Mais méfiez-vous des personnes qui ont fait 1 semaine de stage et se déclarent pro du comportement. C'est très très rarement vrai.
- S'informer de la façon de travailler du professionnel (après avoir vérifié les points précédents). Comme le disaient nos formateurs, le diplôme valide un savoir, pas ce que l'on en fait. Donc, c'est important de regarder aussi la pratique. Certains ont quelque peu dérivés...
- Les labellisations ne se valent pas toutes et sont déclaratives, donc à regarder en complément des éléments ci-dessus.
- L'éthique : ça sera la chose la plus difficile à voir sans avoir rencontré la personne. Mais en regardant l'alignement du discours et des faits (vidéos, photos), on peut se faire une première idée.
Comme je suis un peu juge et partie dans cette histoire, je vous invite à regarder attentivement tous ces points sur mon profil. A vous de vous faire une idée et d'adhérer ou non.
NB : j'ai toujours du mal avec le terme comportementaliste mais si je devais le définir je dirai : personne qui permet à un animal d'exprimer au mieux les comportements de son espèce dans un environnement domestique. Son travail permet d'améliorer la relation humain-animal pour plus de sécurité, de bien-être, de performance (performance au sens, efficace, comme par exemple : faire une prise de sang rapidement et sans danger ou habituer un jeune cheval au pansage avec quelques manipulations bien amenées ou apprendre la jambette sans démotiver le cheval).
*les scientifiques quels qu'ils soient établissent les protocoles et se challengent les uns les autres pour être sûrs d'avoir le bon observable. C'est sur cette base que l'on mène des études en éthologie que ce soit pour les singes, les poissons, les chiens ou les chevaux.
Pour en finir avec l'appellation éthologie et éthologue
Si vous vous présentiez devant un spécialiste des grands singes, des chiens ou des orques en vous définissant comme éthologue, on penserait que vous êtes un scientifique qui observe le comportement des animaux, réalise des études et publie dans des revues scientifiques.
Quand on vous en parle dans le milieu du cheval, on vous dit : "Ah tu fais de la désensibilisation, passer des bâches, monter dans le van..." ou "Tu t'occupes de chevaux difficiles".
Les chevaux n'auraient-ils pas le droit aux éthologues ?
Ou éthologue aurait un autre définition dans le monde du cheval ?
Non, le terme éthologue est juste impropre. Il a été entériné par la fédé, il y a de nombreuses années sur un malentendu : la traduction de horsemanship (que l'on pourrait traduire par relation cheval-homme).
Mais la FFE a préféré une autre traduction... A l'origine de la confusion.
Les éthologues français se sont battus pour que cette mauvaise définition ne soient pas dans les livres... Ils n'ont obtenu que : équitation éthologique. Le mal est fait et il est probable que nous mettions des années à clarifier les choses.
Pourquoi est-ce important ?
Dans une culture, le langage est important. Ce qui est nommé existe, ce qui ne se nomme pas n'existe pas. Si l'éthologie du cheval se résume à une méthode d'éducation, l'éthologie, la vraie n'existe donc pas.
Et si l'éthologie du cheval n'existe pas, ça signifie que l'observation de l'espèce pour mieux la comprendre et adapter nos pratiques à cette espèce n'existe pas non plus.
Et s'il faut tout réexpliquer à chaque fois, les gens ne vous écoutent pas toujours et surtout une grande partie restent confus sur ce terme.
Et si l'éthologie n'existe pas, pourquoi changerait-on de façon de considérer les chevaux...
Alors, une fois pour toutes, les personnes qui éduquent ou forment à l'éducation sont des enseignants d'une méthode.
Les personnes qui s'occupent des problèmes de comportements des chevaux sont des comportementalistes (on les appelle ainsi pour les chiens, par exemple).
Les personnes qui interviennent dans des établissements équestres ou forment des professionnels à l'éthologie appliquée sont des intervenants en éthologie appliquée.
Les personnes qui font des études, des observations sur l'espèce sont des éthologues.
Ce sont des métiers différents qui n'ont pas le même objectif, ni les mêmes moyens.
L'éthologue, le comportementaliste et l'intervenant en éthologie appliquée sont formés à l'éthologie et se placent du point de vue du cheval.
L'enseignant en équitation éthologique est formé à une méthode qu'il applique en tenant compte ou pas du point de vue du cheval, selon son approche.
Précision (car je vais avoir la remarque, je le sais) : Andy Booth a construit une méthode d'éducation qui se base sur les études en éthologie du cheval. Sa méthode est évolutive, notamment au fur et à mesure des découvertes. Cette méthode s'appelle horsemanscience. Il ne se dit pas "éthologue". Cela fait toute la différence, ce respect des mots et des concepts. Cela montre où l'on se situe et là où on veut aller.
Quant à moi, je suis intervenante en éthologie appliquée, formée par des éthologues (Laboratoire de l'Univsersité de Rennes 1) et comportementaliste, si besoin dans mes missions.